Présentez-nous votre entreprise

Nous sommes actifs dans le secteur de la réparation. Plus précisément, nous aidons les gens à réparer eux-mêmes leurs produits, surtout électroniques, par le biais de tutoriels de réparation en ligne. Depuis les quinze ans que nous le faisons, le nombre de tutoriels s’élève à soixante mille. Tous ces tutoriels sont gratuits et même ‘open source’. Notre entreprise se finance par la vente de pièces détachées et d’outils spécialisés pour la réparation de produits électroniques (smartphones, tablettes, ordinateurs portables).

Quelle est votre définition de la « Durabilité » ?

Nous focalisons sur la longévité des produits par le biais de la réparabilité. Bien sûr nous voudrions que tous les produits soient faits pour ne jamais casser, mais même un produit extrêmement robuste tombera en panne un jour. Or, pour qu’il puisse continuer à fonctionner, il faudra le réparer à ce moment. Cela présuppose entre autres que le produit soit démontable et que les pièces détachées soient disponibles pendant toute la durée de vie de l’appareil, ce qui n’est souvent pas le cas aujourd’hui.

Comment votre entreprise contribue concrètement à la durabilité des produits/ services ?

Nous offrons une solution complète pour l’autoréparation de produits électroniques, consistant en tutoriel, pièce détachée et outils. Cela permet même aux personnes n’ayant aucune expérience d’oser – et de réussir – la réparation eux-mêmes. Plus de 230.000 utilisateurs nous consultent tous les mois en France dans ce but. Au niveau européen, ils sont 3,3 millions.

Mais nous travaillons aussi en amont de la panne. En publiant les scores de réparabilité de produits électroniques, nous permettons aux consommateurs de faire un choix informé au moment de l’achat. Nous avons étudié la question de la réparabilité de façon scientifique au cours de plusieurs projets de recherche, en collaboration avec des universités et des institutions de recherche renommées.

En plus, nous sommes actifs sur le plan politique aussi bien en France qu’à l’échelle européenne. Nous avons participé aux groupes de travail préparant les critères techniques pour l’application de la loi française sur la lutte contre le gaspillage et sur l’économie circulaire. Au niveau européen, nous avons pris part aux discussions qui ont abouti à la mise à disposition obligatoire, dès 2021, de pièces détachées et d’instructions de réparation pour tout lave-linge, lave-vaisselle, réfrigérateur ou télévision vendu dans l’UE. Nous avons aussi joué un rôle important dans la rédaction de la toute nouvelle norme de réparabilité européenne qui permettra, à terme, l’application d’un label de réparabilité à l’échelle européenne.

« Nous constatons une tendance (…) vers des produits moins réparables »

Quels sont vos enjeux majeurs actuels sur ces sujets ?

En général, nous constatons une tendance, qu’il nous faut absolument inverser, vers des produits moins réparables. Non seulement les produits électroniques deviennent en soi plus difficiles à réparer, mais en plus, la prolifération de l’électronique dans des produits de tout genre, ainsi que le nombre croissant d’objets connectés comportent un risque important pour la longévité. Tous ces produits deviennent ainsi dépendants de logiciels et de mises à jour, et cela crée de nombreux problèmes allant du smartphone réparé qui ne s’allume plus après une mise à jour, au frigo connecté tout neuf dont le calendrier refuse de fonctionner à cause d’une révision du protocole de sécurité d’une tierce partie.

Nous menons actuellement une campagne à l’échelle européenne pour le droit à la réparation (voir www.repair.eu). Nos revendications principales sont la conception de produits réparables, l’accès universel aux pièces détachées et aux instructions de réparation, et la transparence vis-à-vis des consommateurs par rapport à ces aspects-là.

Quel est votre avis sur la nouvelle loi anti-gaspillage pour une économie circulaire ?

Tout d’abord, il convient de souligner le rôle précurseur de la France en la matière. En fait, l’ambition et le développement relativement rapide du projet de loi français nous a aidé à faire avancer les choses au niveau européen. Et là où les mesures européennes ne s’appliquent qu’à certaines catégories de produits, le caractère universel de la loi française en fait un levier très important.

Le projet de loi offre une première réponse à plusieurs de nos revendications mentionnées ci-dessus, même si les modalités, qu’un décret en Conseil d’État devra d’ailleurs encore préciser davantage, ne sont pas forcément celles que nous aurions souhaitées.

Au niveau de la conception des produits, la modulation de l’éco-contribution est un principe intéressant. Mais tout se jouera dans l’application concrète, notamment dans la hauteur des primes et pénalités et dans les critères appliqués, qui devront encore être fixés dans le décret. Nous espérons évidemment que celui-là sera suffisamment ambitieux.

En ce qui concerne l’accès aux pièces détachées et aux instructions de réparation, celui-ci n’est assuré que pour les réparateurs professionnels tandis que nous voudrions le faire valoir pour tous les consommateurs. En plus, le statut de réparateur professionnel n’est pas suffisamment défini et nous invitons le gouvernement à établir un registre national de réparateurs posant des exigences raisonnables au niveau de la qualification et permettant aux initiatives citoyennes telles que les Repair Cafés de s’y enregistrer.

Par rapport à la durée de disponibilité des pièces détachées, elle devra encore être fixée par le décret. La loi prévoit un minimum de 5 ans, ce qui serait ambitieux pour certains produits (p.e. smartphones) mais pas du tout pour d’autres comme le gros blanc, puisque pour plusieurs types de ces appareils, une disponibilité de 10 ans sera d’office obligatoire au niveau de l’UE à partir de 2021.

C’est surtout à notre troisième revendication, celle de la transparence, que le projet de loi répond. Une consultation impliquant l’ensemble des parties prenantes a abouti à la définition d’un indice de réparabilité qui, contrairement aux obligations déjà mentionnées, tient compte non seulement de la réparation par un professionnel mais aussi de l’auto-réparation.

Nous sommes heureux que cet indice s’appliquera dès 2021 à plusieurs produits dont notamment les smartphones, pour lesquels l’UE traîne depuis des années à entamer un projet ecodesign. Nous avons d’ailleurs lancé une pétition à ce sujet.

Ainsi, cette mesure crée une réelle pression pour faire avancer le projet de l’indice de réparabilité au niveau européen.

Compte tenu du problème des logiciels évoqué ci-dessus, nous nous réjouissons que la loi exige aussi que le consommateur soit informé de la durée au cours de laquelle les mises à jour des logiciels seront disponibles.

Quelles sont vos sources d’inspiration/ exemples emblématiques en matière de durabilité ?

Nous voudrions que les produits technologiques de pointe d’aujourd’hui soient aussi réparables que les simples produits de jadis, que tout le monde savait réparer avec quelques outils de base. Certains fabricants parviennent à relever ce défi et obtiennent des scores parfaits en termes de réparabilité, comme en témoignent le téléphone Fairphone 3, la tablette HP Elite x2 1012 G2 ou l’ordinateur portable Dell Latitude E5270. Ces produits sont faciles à démonter et les pièces détachées ainsi que les instructions de réparation sont disponibles à tout le monde.

En sortant de notre créneau des produits électroniques, nous admirons beaucoup les marques de vêtements et équipements sportifs Patagonia et Vaude, qui fabriquent des produits très durables et incitent leur clients à les réparer au lieu de les remplacer.